Le harcèlement en entreprise est une réalité difficile encore à appréhender. Même si on observe une libération de la parole du côté des victimes, la visibilité sur le phénomène est encore limitée par le poids des tabous.
5 questions à Juliane Nitsche, CEO de ERIA
Nous ne voyons que le sommet de l’iceberg pour l’instant, et la grande partie du problème reste encore invisible.
VISTIM : Juliane, pourquoi avoir fondé ERIA (Employee Relations, Investigation and Advice) ?
Après avoir travaillé sur le sujet du harcèlement en entreprise en proposant des enquêtes et des actions de prévention pendant dix ans, l’ampleur de la problématique nous a poussé à proposer un service unique et très spécialisé pour assister les organisations qui sont encore trop souvent complètement démunies face à cette problématique.
Avez-vous vu le phénomène du harcèlement en entreprise évoluer ces 10 dernières années ?
Oui, il y a dix ans il y avait beaucoup moins de cas de harcèlement à traiter. Aujourd’hui la parole se libère plus facilement et les victimes de harcèlement ont plus souvent le courage de signaler les comportements inappropriés. Néanmoins, nous savons par expérience que nous ne voyons que le sommet de l’iceberg pour l’instant, et que la grande partie du problème reste encore invisible. Les organisations devraient se préparer à devoir gérer de plus en plus de cas dans les années à venir.
Quelles sont les obligations légales des employeurs concernant la prévention et la gestion des cas de harcèlement ?
La principale obligation légale est de prévenir le harcèlement tout court. Cela veut dire que l’entreprise doit mettre tout en œuvre pour s’assurer qu’aucun cas de harcèlement ne se produira chez elle. Il y a différents moyens pour y parvenir mais l’employeur sera surtout jugé sur l’efficacité de ses mesures. Il n’est pas pertinent de monter une usine à gaz en matière de prévention de harcèlement si elle n’est pas suivie d’effets dans la vie quotidienne des employés. Beaucoup trop d’entreprises mettent le focus sur la formalisation de la prévention et consacrent beaucoup de moyens et de temps pour écrire des politiques de prévention qui sont ensuite mises dans un tiroir et ne servent qu’à se donner bonne conscience.
Comment abordez-vous une enquête d’un cas présumé de harcèlement ?
Il est indispensable de créer un climat de confiance et de discrétion afin de permettre à chacun de s’exprimer librement et d’apporter des éléments qualifiés. En tant qu’acteur externe à l’entreprise, les salariés ont confiance que l’enquête sera juste, neutre et objective.
Nous basons nos enquêtes sur des entretiens et l’analyse des documents. Comme une enquête peut entraîner des conséquences juridiques graves, nos conclusions et recommandations se basent uniquement sur des preuves et des témoignages. Nous analysons tous les éléments séparément et également d’une manière systémique comme le préconise la Cour européenne.
Le harcèlement est un sujet très chargé en émotion et une enquête est éprouvante pour la victime présumée mais également pour la personne accusée et les autres protagonistes. Nous essayons donc de conclure nos enquêtes dans des délais raisonnables.
Quels sont vos conseils aux entreprises pour prévenir toute situation de harcèlement ?
Notre approche, lorsque nous accompagnons un client, est pragmatique. Nous regardons concrètement ce qui se passe quand un employé se déclare victime de harcèlement et même avant. Car les questions les plus importantes sont, “est-ce qu’il/elle va oser témoigner” ou “est-ce qu’il/elle va préférer quitter l’entreprise par manque confiance dans l’organisation”.
La prévention passe surtout par la communication, l’information et la formation des salariés. Dans les formations que nous proposons, nous mettons le focus sur les actions concrètes. Comment reconnaître un harcèlement ? Quelles différences avec un conflit ? Comment se comporter en tant que victime ou témoin ? A qui parler ? Nous travaillons toujours avec des cas concrets et des jeux de rôles pour que chacun sache concrètement quoi dire et comment réagir dans différents scénarios. De cette manière, il est possible de mettre fin à des situations difficiles avant qu’elles ne se transforment en harcèlement.